LES NOUVEAUX ACTEURS IMMOBILIERS : QUEL STATUT ?

Par Me Diane Delume, Me Anne-Catherine Salin et Me Margaux Delporte, avocates 186 | AVOCATS.

Régulièrement saisi par des entrepreneurs aux projets immobiliers innovants, le Cabinet a renouvelé, au cours des trois dernières années, l’offre de conseil en droit immobilier afin notamment de répondre à l’adéquation de l’activité proposée par ces nouveaux acteurs immobiliers avec le cadre strict posé par la loi Hoguet.

Si à l’origine l’agent immobilier se contentait d’une intermédiation entre le propriétaire d’un bien ou ensemble immobilier avec de potentiels acquéreurs ou acquéreurs, une activité immobilière nouvelle génération voit le jour. Inspirée de la culture Real Estate à l’américaine, la prestation se présente comme un service « clé en main », de la recherche d’un bien à sa commercialisation en passant par sa rénovation et mise en valeur, l’accompagnement complet dépasse le simple rôle d’intermédiaire.

Il nous est apparu opportun d’exposer les réflexions menées dans le cadre de nos dossiers autour de la qualification juridique de ces nouvelles prestations.

L’élargissement des prestations de service des nouveaux acteurs immobiliers : de la conciergerie vers l’accompagnement à l’investissement immobilier

Certains des entrepreneurs que nous accompagnons exercent dans le domaine de la conciergerie immobilière[1].

Dans le cadre de cette activité, ils assurent initialement la gestion courante des biens immobiliers pour le compte de leur clientèle qui inclus, sans que cette liste ne soit exhaustive, les actes classiques : recherche de locataires, entrée et sortie dans les lieux, remises des clés, etc. Progressivement, ils deviennent ainsi les interlocuteurs exclusifs des locataires et occupants des appartements dont la gestion leur a été confiée.

A la différence des agences immobilières, ces nouveaux acteurs proposent souvent une offre prémium de services qui va inclure un service de nettoyage, de location de linge, d’entretien du jardin, etc.

Au gré de leur activité, une certaine relation de confiance s’installe avec les clients qui finissent par confier la gestion de l’intégralité de leur investissement immobilier à leur partenaire.

Ainsi, élargissant le champ de son intervention, le partenaire, professionnel de l’immobilier, se voit confier la réalisation des diligences préalables à la gestion locative.  Cela va inclure un accompagnement complet dans toutes les étapes de l’investissement : identification des biens potentiels, recherche de financement, choix du véhicule d’investissement, relation avec le vendeur, acquisition, établissement des plans d’aménagement, suivi des travaux, pour finalement aboutir à la gestion locative.

Dans ce contexte, plusieurs interrogations émergent quant à la qualification de l’activité. En effet, le conseil juridique, la recherche de financement, la gestion locative, autant d’activités qui font l’objet d’une réglementation propre et qui ne peuvent, à ce titre, pas être exercées librement.

Ces nouveaux acteurs saisissant rapidement l’ambiguïté entre leur activité[2] et l’activité d’agent immobilier réglementée par la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce dite « loi Hoguet », font appel à notre équipe droit immobilier.

La limite entre l’activité d’agent immobilier et celle qu’ils exercent étant ténue, ils redoutent la poursuite de leur activité et sollicitent un audit juridique du montage actuel et des recommandations sur les adaptations à effectuer pour se conformer aux dispositions impératives de la loi Hoguet d’une part et aux autres réglementations impératives (courtage, architecte, etc.) d’autre part.

La distinction des prestations des nouveaux acteurs avec celles appréhendées par la loi Hoguet

« Nous ne disposons pas de la carte T[3], est-ce un frein à l’exercice de notre activité ? »

Il s’agit de la principale interrogation des nouveaux acteurs immobiliers. Dans un premier temps, ils souhaitent connaître leurs possibilités de poursuivre l’activité sans obtenir la carte de transaction immobilière.

La carte professionnelle est souvent perçue comme l’alternative de dernier recours qui risquerait de les faire tomber dans le commun des agents immobiliers, perdre le caractère innovant de leurs services et d’endommager la confiance de leur clientèle.

Une certaine méfiance des propriétaires envers les agences immobilières fait effectivement son émergence. L’engagement de la responsabilité des agents immobiliers étant devenue monnaie courante, nul besoin de s’étonner de la volonté affirmée par les nouveaux acteurs de se distinguer des agences immobilières « classiques ».

C’est sans vouloir répondre au fondement de cette inquiétude qu’un rappel s’impose.

L’accompagnement à l’investissement immobilier, qu’il s’agisse de l’activité de conciergerie immobilière ou de consultant voire de gestionnaire de plateforme de mise en relation, ne peut se confondre ni se fondre dans l’activité d’intermédiaire immobilier[4] ; sauf à respecter les termes de la loi Hoguet.

Or, la loi Hoguet précise que l’activité d’intermédiaire immobilier ne peut être exercée que par des personnes physiques ou morale titulaires de la carte professionnelle.

Dans ces conditions, dès lors qu’une entreprise entend étendre ses activités pour répondre aux besoins de sa clientèle qui souhaite déléguer la gestion du contrat de location et/ou la recherche de biens immobiliers à acquérir[5], le statut légal d’agent immobilier ne peut être écarté et, la carte professionnelle est un impératif légal. En effet, la loi Hoguet et son décret d'application ont vocation à s'appliquer à tous ceux qui s'entremettent (habituellement) dans les opérations portant sur les biens d'autrui et ce, quelle que soit la qualification professionnelle qu'ils se sont improprement donnée[6].

Afin d’illustrer le propos, la jurisprudence a considéré soumis à la loi Hoguet :

  • la recherche de clients ou d'un cocontractant pour le compte d'un mandant quand bien même le professionnel n'aurait pas ensuite négocié l'accord proprement dit[7] ;
  • l'activité du « conseil foncier » qui indique des immeubles susceptibles de permettre des opérations de promotion immobilière, met les parties en relation, donne son avis sur l'intérêt de l'opération et règle les difficultés pouvant résulter des négociations[8] ;
  • l'activité d'entremise du « conseil immobilier » qui propose ses services de manière habituelle[9] ;

En revanche, n’ont pas été considérés comme entrant dans le champ d’application de la loi Hoguet :

  • Les opérations diverses de financement telles que contrats de prêt immobilier ou de crédit-bail immobilier[10] ;
  • Les contrats de louage d'ouvrage (actes d'entremise relatifs à la souscription d'un contrat de construction de maison individuelle avec ou sans fourniture du plan[11]).

Il existe également des exceptions légales, prévues directement par la loi Hoguet. C’est ainsi que les agences de voyages, les plateformes et les annonceurs en ligne n’entrent pas dans le champ d’application de l’obligation de détention de la carte professionnelle.

S’agissant particulièrement des plateformes en ligne, si Airbnb reste pionnière du secteur, d’autres plateformes émergent avec une offre plus spécifique comme les séjours de luxe. Il conviendra, pour ces nouveaux acteurs, d’accorder une attention particulière à leur champ d’action afin de restreindre leur intervention à la simple mise en relation des propriétaires avec les utilisateurs du site sans bénéficier d’un mandat des propriétaires pour la gestion locative des biens immobiliers et ce, y compris pour les locations courte durée. En effet, l’exercice de la gestion locative à titre habituelle est une activité soumise à la loi Hoguet qui ne pourra être exercée qu’à condition d’être titulaire de la carte T.

Les risques de la proposition d’une offre de prestation d’investissement immobilier « clé en main »

En parallèle du constat de la soumission d’une partie de l’activité de ces nouveaux acteurs immobiliers au statut de la loi Hoguet, les chefs de mission relevant d’une approche « clé en main » de l’investissement immobilier peuvent tomber dans le champ d’autres statuts réglementés.

En effet, outre la recherche de biens ou d’ensembles immobiliers et les diligences en vue de son acquisition qui peuvent ressortir de la loi Hoguet, les nouveaux acteurs immobiliers ont parfois l’ambition de proposer une offre complète de services dont l’exercice n’est toutefois pas complétement libre.

En accompagnant leur clientèle dans les démarches en vue de l’acquisition du bien, les nouveaux acteurs immobiliers peuvent avoir l’idée de nouer des relations voire des partenariats avec des établissements financiers pour le financement du projet.

A ce titre, le professionnel de l’immobilier pourrait être tenté de se placer en intermédiaire entre la banque partenaire et ses clients en situation de recherche de financement.

Or, l’intermédiation en opérations de banque et en services de paiement effectuée de manière régulière contre rémunération est régie par l’article L. 519-1 du Code monétaire et financier et soumis à l’immatriculation à l’ORIAS[12].

Autre risque, une fois la propriété du bien acquise par le client, la prestation clé en main peut inclure l’accompagnement dans la mise en valeur du bien immobilier en vue de sa commercialisation.

Aussi, dès lors que ces entrepreneurs de l’immobilier souhaitent s’adjoindre des missions d’accompagnement dans la valorisation de l’investissement immobilier dont l’établissement des plans d’aménagement, le choix des entrepreneurs, le suivi des travaux ; ceux-ci doivent s’interroger sur les règles juridiques qui viennent s’appliquer.

Le professionnel de l’immobilier qui définirait l’objectif du projet, le budget et son calendrier pourrait se voir qualifier de maître de l’ouvrage ou de maître d’ouvrage délégué, avec toutes les conséquences juridiques que cette casquette recouvre. La coordination et la supervision du chantier et des différents corps de métier pourrait le faire entrer dans la qualification de maître d’œuvre, plus communément appelé « Chef de projet ».

Certains de ces entrepreneurs ont à cœur de proposer un accompagnement à l’investissement immobilier de A à Z, le rôle et les chefs de missions doivent toutefois être définis avec précision afin de vérifier la conformité de l’exercice de l’activité avec les dispositions légales.

Notre cabinet effectue régulièrement des audits de ces nouvelles activités immobilières pour le compte d’entrepreneurs afin de sécuriser leur exercice et de limiter l’engagement de leur responsabilité.


[1] Ils proposent notamment des prestations de services de type para hôtelières.

[2] Sans gestion de bail de location, ni de perception de loyers.

[3] Carte professionnelle de l’agent immobilier permettant de réaliser des transactions immobilières.

[4] Bordeaux, 28 mars 2019 / n° 18/04750 : « la communication de l'appelante peut être source d'une confusion certaine et peut même faire l'objet de critiques, en particulier lorsqu'elle affiche 'gestion locative' sur sa page publique facebook, il apparaît que la réalité de son exploitation est moins claire. Ainsi, il résulte du procès verbal de constat produit par l'intimée que les prestations que l'appelante fait apparaître sous la rubrique gestion locative peuvent correspondre à des services de < conciergerie >, qu'elle déclare proposer, et non à des prestations de service relevant de la loi < Hoguet >. Il est manifeste que les prestations de location de jacuzzi et de linge de maison, de ménage inter locataire, d'entretien de jardin ne relèvent pas de la loi < Hoguet >. Il peut exister un débat au titre de la remise des clés personnalisée, sans qu'il soit explicité véritablement à quoi correspond cette prestation, et au titre des états des lieux. Toutefois, ces éléments qui ne sont pas étayés par d'autres pièces sur l'activité réelle de la société Groom Services sont insuffisants pour caractériser, en référé, un exercice certain d'activités relevant de la loi < Hoguet > »

[5] La loi vise spécialement la recherche de biens immobiliers.

[6] Rappelons que depuis la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, le nouvel alinéa a bis A, de l’article 14 de la loi Hoguet dispose qu’est puni de 6 mois d’emprisonnement et de 7.500 € d’amende le fait pour toute personne d’utiliser la dénomination « agent immobilier », « syndic de copropriété » ou « administrateur de biens » sans être titulaire de la carte professionnelle requise.

[7] Cass. 1re civ., 8 juill. 1986

[8] Cass. 1re civ., 25 avr. 1990

[9] CA Paris, 20 avr. 1989

[10] TGI Marseille, 30 juin 1978

[11] CCH, art. L. 231-1 et L. 232-1

[12] Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance.

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