LE SALARIE EST-IL « PROPRIETAIRE » DES ŒUVRES ET DES INVENTIONS QU’IL CREE DANS LE CADRE DE SON CONTRAT DE TRAVAIL ?

Par Pauline Chanel et Martin Bessonnet

Il s’agit là d’une question récurrente que de nombreux salariés et employeurs se posent dans leur activité professionnelle.

Et pour cause.

La rencontre du droit de la propriété intellectuelle et du droit du travail n’est pas évidente, et s’incarne dans diverses situations qui appellent à la vigilance tant des entreprises que de leurs collaborateurs.

Pour les uns, il s’agit de s’assurer que toutes les créations faites sur le lieu de travail appartiendront bien à la personne morale et de sécuriser au mieux la situation en amont.

Pour les autres, l’enjeu est de protéger les œuvres, certes réalisées dans le cadre de leurs contrats de travail, mais issues de leurs esprits, et de conserver ce droit fondamental.

En pratique, la question de la titularité des droits de propriété intellectuelle d’un salarié dépend de l’objet créé.

Afin d’y voir un peu plus clair, il conviendra de s’arrêter quelques instants sur les droits intellectuels spécifiquement attachés aux œuvres (I.) puis aux inventions (II.) créées par des salariés dans le cadre d’un contrat de travail pour tenter d’identifier qui, de l’employeur ou du salarié, en est leur véritable titulaire.

1. Les droits d’auteur sur l’œuvre du salarié

Le droit d’auteur a pour objet de protéger les œuvres de l’esprit.

C’est le sens de l’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que « l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».

Si aucun dépôt n’est nécessaire pour être titulaire d’un droit d’auteur, l’œuvre quant à elle doit nécessairement être originale, c’est-à-dire porter l’empreinte de la personnalité de son auteur et s’incarner sous une forme la rendant perceptible aux sens humains (vue, toucher, ouïe).

Lorsque l’auteur d’une œuvre de l’esprit est un salarié, l’existence de son contrat de travail n’emporte aucune dérogation à la jouissance des droits d’auteur sur ladite œuvre.

Autrement dit, le salarié est et demeure titulaire de droits d’auteur sur toutes les œuvres originales créées à l’occasion ou en exécution de son contrat de travail.

Il n’y pas de transfert automatique de ses droits à son employeur, au seul motif qu’existe entre eux un lien de subordination et un contrat de travail.

La transmission des droits de l’auteur-salarié n’est possible que dans l’hypothèse d’un échange de consentements spécifique sur le sujet.

Employeur et salarié concluent alors une clause de cession de droits, spécifiquement insérée dans le contrat de travail ou dans un avenant ad hoc.

Cette clause de cession des droits de propriété intellectuelle doit nécessairement être écrite et mentionner distinctement chacun des droits d’auteur cédés et sous quelles conditions.

Par exception, il existe toutefois des cas dans lesquels une transmission des droits de l’auteur-salarié s’opère automatiquement entre les mains de son employeur.

Ces cas sont limitativement énumérés par le Code de propriété intellectuelle.

Il s’agit des hypothèses suivantes :

  • Les logiciels et leur documentation ;
  • L’œuvre collective créée sous la direction de l’employeur ;
  • Les œuvres des journalistes, publiées ou non ;
  • Les œuvres créées par des fonctionnaires dans l'exercice de ses fonctions ou d'après les instructions reçues par le représentant de l’Etat.

Dans ces cas-là, les créations appartiennent directement et automatiquement à l’employeur.

Sur un plan financier, lorsque l’auteur-salarié cède ou transfert ses droits à son employeur, son salaire est réputé englober la contrepartie de la cession. Sauf dispositions contraires, il ne touche donc pas de rémunération complémentaire pour son activité créatrice.

2. Les inventions brevetables du salarié

La détermination de la titularité des droits de brevet sur une invention créée par un salarié à l’occasion ou en exécution de son contrat de travail dépend du contexte et des moyens employés à sa réalisation.

Le Code de la propriété intellectuelle distingue deux types d’inventions :

  • L’invention dite « de mission »

C’est celle réalisée par le salarié en exécution :

  • de son contrat de travail, lequel comporte une mission inventive permanente qui correspond aux fonctions effectives du salarié ;
  • d’études ou de recherches qui lui sont confiées,
  • d’une mission occasionnelle.

Dans cette hypothèse, l’employeur a, lui seul, la propriété de ladite invention et ce, dès sa conception.

Le salarié a néanmoins le droit d’être cité comme inventeur.

Il perçoit en outre une rémunération supplémentaire dont les modalités sont fixées dans la convention collective, l’accord d’entreprise ou le contrat de travail.

  • L’invention hors mission.

Ici, deux types d’inventions doivent être distingués :

  • L’invention hors mission attribuable qui désigne les inventions autres que celles de missions mais qui présentent un lien avec l’entreprise car :
    • Elles entrent dans le domaine d’activité du salarié-inventeur ;
    • Elles ont été faites par le salarié-inventeur dans l’exécution de ses fonctions ou grâce aux moyens techniques et connaissances mises à sa disposition par l’entreprise.

Dans cette hypothèse, le salarié demeure propriétaire de son invention.

Néanmoins l’employeur peut décider de se faire attribuer la propriété de l’invention ou sa jouissance. Il doit alors payer au salarié-inventeur un « juste prix » lorsqu’il exerce son droit d’attribution et qui correspond à la valeur de l’invention.

  • L’invention hors mission non attribuable désigne les inventions :
    • Réalisées par le salarié en dehors de toute mission confiée par l’employeur ;
    • Ne présentant aucun lien avec l’entreprise.

Dans cette dernière hypothèse, le salarié demeure l’unique propriétaire de son invention.

Il ne perçoit aucune rémunération de la part de son employeur.

Quelle que soit l’invention réalisée par le salarié, celui-ci a l’obligation d’en faire déclaration à son employeur. Cette obligation concerne tous les salariés et toutes les inventions, qu’il s’agisse d’une invention de mission ou hors mission.

Le salarié qui déclare son invention à son employeur lui propose un classement, c’est-à-dire la catégorie dans laquelle il classe son invention.

Lorsque cette question fait débat entre le salarié et l’employeur, il appartient à l’employeur de prouver la nature de la mission qu’il a confiée au salarié pour déterminer la catégorie de l’invention.

Dans ce contexte, les clauses relatives à l’activité inventive paraissent nécessaires, pour éviter les litiges.

D’une manière générale, c’est au stade de la rédaction du contrat de travail qu’il faut être vigilant sur ce sujet, afin d’anticiper au mieux les situations à venir.

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